«Ne pas politiser». La politique comme moyen et but

Le constitutionnaliste, avocat et homme politique allemand Carl Schmidt, en parlant de l’État, décrit ce dernier comme «le statut politique du peuple». Cette description extrêmement laconique, mais complète est l’un des joyaux de la pensée politique et juridique européenne à l’époque de l’auteur et après et n’est plus privée de modernité et d’importance. Certaines relations dans le contexte de la situation actuelle en Arménie doivent être interprétées et réévaluées.

Tout d’abord, si l’État est le statut politique du peuple, il est donc réalisable, comme pour tout statut, dans un tel cas un résultat d’un travail coordonné qui s’acquiert par le biais de la politique. Ce dernier point est exceptionnel, car c’est ici que le principe essencialiste, par lequel il est possible de différencier la politique(dasPolitik) du politique(dasPolitische) et ses différences fonctionnelles et de nature avec l’État lui-même. Il est à noter que Schmidt utilise la politique non pas comme un adjectif, mais comme un nom et un adjectif comme un nom, elle maintient le sexe neutre.

C’est ici que l’État et la politique sont clairement séparés et qui acquièrent un statut et un caractère distincts. Schmidt nous donne l’occasion d’examiner la situation sous un prisme complètement différent, car il interprète le statut politique du peuple, ce qui l’interprète comme le plus important (Maßgebend), ce qui nous permet de conclure que dans la hiérarchie des statuts individuels, de groupes ou collectifs Schmidt lui attribue la valeur et la position les plus élevées en distinguant ainsi clairement la priorité et le secondaire pour la société et l’état. Mais ce statut n’a de sens et de valeur que par le politique, à travers le fonctionnement de la politique. En d’autres termes, ce dernier est un critère essentiel sans lequel il est impossible d’imaginer l’État, l’idée elle-même de l’État. Oui, le politique est le critère et la base de l’État, de l’étatique, et donc de toutes les institutions et relations civiques.

Si en 1919 dans son discours  «Le politique en tant que profession et titre» Max Weber a souligné que l’État est un système monopolistique sur la violence dans un domaine particulier, Schmidt, le répensant, souligne que l’État est un système politique qui «a un monopole du politique». Cette définition est exactement ce que l’État diffère des autres unités politiques et des formations non étatiques. De toute évidence, il est impossible, même irraisonnable d’harmoniser l’État et la politique.

L’État lui-même est le résultat du politique, mais tout n’est pas politique. C’est ici que l’une des « maladies » les plus importantes de notre époque se présente, à savoir l’analogiedu politique et del’étatique. Cette tendance devient catastrophique depuis l’ère de la modernité, lorsque l’État et la société pénètrent pas à pas et créent une situation où n’importe quelle sphère de gouvernement, de vie publique, un problème, une activité, devient un état et selon la logique précitéedevient politique, et une situation est créée lorsque tout devient politique avec «l’occupation» de la vie quotidienne par l’État.

Michel Foucault et avant lui, Hobbes, Gramsci et d’autres penseurs ont prédit et diagnostiqué ce «défaut» qui, à leur époque, était déjà considéré comme un problème social. À partir de là, les sphères : la religion, la culture, l’éducation et l’économie, qui étaient auparavant neutres, cessent d’exister et entrent dans le champ du politique, deviennent politisées perdant leur propre logique.

Ainsi, alors que les systèmes institutionnels les plus sournois de l’État fonctionnent, il acquiert un caractère totalitaire (au sens fonctionnel). L’État, qui possédait auparavant son propre domaine, conquiert à présent toutes les sphères de la vie, de la vie quotidienne et du domaine social, sous réserve d’une politisation totalitaire. Ici, pour une société en bonne santé et progressiste, un véritable désastre commence, car si tout est politique, l’essence de la politique s’arrête à elle-même et se perd dans la définition de la politique.

Voici ce que Schmidt propose comme caractéristique clé pour résoudre ce problème, à travers duquel il est possible de distinguer le politique du non politique. Ce critère est l’opposé de l’ami ennemi. Selon ce principe, le politique peut exister quand il y a au moins deux côtés, le contraste entre eux est qu’il n’y a pas de coordination, un champ d’interaction et que la seule issue est la victoire de l’un des partis et contraindre sa volonté à l’autre. Cette norme manque de nuances morales, économiques, religieuses, culturelles ou autres, elle a l’estime de soi et c’est sa supériorité. Il n’est pas nécessaire d’avoir un ennemi, qu’il soit immoral ou malveillant, pour être porteur de la foi ou d’une culture différente, il peut même être bénéfique d’établir des relations économiques avec votre ennemi. Mais la priorité est le critère de la résistance d’intensité, le seul moyen de sortir de la situation est de contraindre volonté et principe de l’un à l’autre, qu’il s’agisse d’un affrontement physique violent ou de la violence symbolique.

Ainsi, Schmidt porte la question et le problème au niveau des extrêmes, mettant au premier plan la nature de l’individu et de la société. Maintenant, dépendant d’un critère particulier, le politique obéit à la nature de l’infection. Cela peut concerner n’importe quelle sphère de la vie si on trouve au moins deux côtés opposés dont l’intensité n’implique pas de compromis.

En parlant du statut politique du peuple, Schmidt, en classant l’État à un degré plus élevé, laissait entendre qu’il ne pouvait y avoir aucune alternative au statut politique du peuple, à l’État, et qu’il s’agissait d’une valeur élevée et peu fréquente.Ici, lorsque le problème devient un caractère purement politique et essencialiste entre les parties opposées, une situation est créée lorsque l’ennemi n’a pas besoin de haïr, humilier, démagnétiser, le priver de caractéristiques humaines et Ils devraient être vénérés par l’ennemi, le problème ici n’est pas la faiblesse humaniste de l’une des parties, mais le problème est le transfert sur le terrain politique. Voici le sens des guerres économiques et religieuses, ici le contraste culturel reflète son caractère dans la vie publique. L’idée et l’essence de la politique, étant infectée, élargissent nécessairement ses domaines.

Schmidt, développant son esprit et parlant de neutralité, affirme que si la neutralité demeurait sur le globe, l’idée de la neutralité aurait été détruite car, s’il n’y avait pas de contradiction, il n’y avait pas de danger de guerre ni neutre. La neutralité, dépourvue de sa propre substance, cesserait d’exister. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire même une guerre directe ou une violence physique, mais au moins la possibilité de percevoir que le contraste ami-ennemi est toujours présent dans toutes les sphères de la vie et que la contradiction est une garantie du développement de la société et de l’État.

C’est à travers ce politique qu’il n’est pas nécessaire de considérer la guerre comme une sorte de phénomène idéologique, moral et culturel. Grâce à ce critère, il devient un champ indépendant avec toutes les limites et en conséquence, pour les parties au conflit, au plus résolu et perceptible.

Schmidt fait une observation intéressante indiquant que «si l’hostilité des soldats de la paix à la guerre était si forte qu’ils entreraient en guerre avec leurs partisans, se transformant en guerre contre une guerre particulière, il aurait été prouvé qu’elle disposait d’une force politique suffisante pour regrouper les gens selon le contrasteamis-ennemis ».

En général, le groupe de personnes devient une catégorie politique lorsqu’il est prêt à défendre sa propre volonté collective, à se défendre de l’ennemi comme fondement de sa souveraineté, lorsque le groupe décide de ses principes, de ses objectifs, de son «statut politique» et n’hésite pas à entrer en guerre pour  ses idées. Et s’il n’y a pas de principe de ce type d’unité collective et de sacrifice de soi, une situation est créée lorsqu’un groupe qui défend l’individu, le groupe et la société décide de son ami et de son ennemi. Dans notre histoire, il s’agit d’un exemple frappant du parrainage de «salut» de la Russie, lorsqu’en cédant notre protection à cette dernière,nous lui permettons de décider à notre place qui sont nos ennemis et nos amis.

Il convient de mentionner que la politique elle-même ne diminue ni ne valorise au moins sa signification fonctionnelle ou essentielle, mais elle définit clairement les menaces de l’État totalitaire actuel sur les sphères de la vie publique et sur elle-même, et avant d’être une catégorie politique, une valeur politique et un résultat politique, il y a un problème d’organisation publique, de politique publique et de protection des conditions nécessaires, sans quoi il deviendra un tout, une simple organisation quasi-constitutive, engagée dans la politique, à cesser de traiter des questions administratives, policières ou culturelles, privant ainsi la nation de sa souveraineté et de la capacité de gérer son propre destin.


Bibliographie

  1. Carl Schmitt.DerBergriff des Politischen, Duncker&Humblot, Berlin, 1932
  2. Шмитт К. Понятие политического, Вопросы социологии, 1992, Н.1
     


Auteur: Gor Madoyan©Tous droits réservés

Traduit par: Gohar Youzbachian