Traditionnellement le consumérisme est lié à la satisfaction de la vie débauchée, du luxe, de la plénitude, de l’abondance, des plaisirs et des désirs innombrables. Selon certains chercheurs il est la stimulation d’un comportement orienté vers la  satisfaction des besoins non essentiels. Cependant, le grand rythme d’achats enregistré pendant la période du nouveau type de coronavirus montre, que le consumérisme n’est pas toujours lié aux besoins non vitaux de l’individu ;  il est souvent un impératif de survie, ce qui découvre un autre côté du consumérisme – la face de l’insécurité jusque-là invisible . La perspective de l’auto-isolement et le fait du confinement ont provoqué un problème d’accumulation des produits alimentaires et des objets de première nécessité dans les pays avec un taux d’infection élevé, ce qui a provoqué les accumulations de files d’attente et l’apparition des vitrines vides dans certains endroits tels que les supermarchés et les points de vente. Analysant le consumérisme répandu dans la société occidentale moderne dans son livre « La société de consommation : ses mythes, ses structures », le sociologue, philosophe et théoricien de culture Jean Baudrillard insistait, qu’il était un moyen d’auto-différenciation individuelle et de classe. Le comportement consumériste formé en raison des derniers événements montre quelle a été la transformation subie par le consumérisme à cause du changement des motifs de consommation. La situation épidémique a dicté de nouvelles règles de consommation qui ont détaché la société consumériste des modes et des motifs de consommation,  devenus traditionnels

Le consumérisme indice de pénurie

Dans les mégapoles d’aujourd’hui la spécialisation et la division du travail ont placé les gens à un niveau élevé de privation d’autosuffisance. À la différence des villages, dans les lieux urbains presque chaque besoin prioritaire est satisfait par l’action de l’achat, car le travail et ce qui est obtenu par le travail ne sont pas identiques, en d’autres termes les gens consomment des produits qui en général ne sont pas produits par eux-mêmes. Cependant dans les villages presque chaque habitant est le producteur d’un certain nombre de produits de première nécessité et satisfait une partie de ses propres besoins alimentaires sans avoir recours à l’achat. Il s’avère qu’il y a une plénitude dans les villes, mais cette plénitude n’est pas une garantie alimentaire, ni d’autres types de sécurité, car elle est réalisée par l’intermédiaire de l’échange monétaire, tandis que dans les villages il n’y a pas d’abondance, mais il y a une provision suffisante des produits nécessaires pour une certaine période de temps. C’est pour cela, que dans les villes on se soumet à l’instinct de l’achat alors que dans les villages on est plus résistant.

Mais on dirait qu’il y a un abîme  entre le consumérisme et la subsistance. La subsistance est considérée comme l’antipode du consumérisme, puisqu’elle est liée au besoin du minimum, tandis que le consumérisme est lié au maximum et à l’existence du meilleur possible. Ces derniers jours la consommation a soudainement commencé à être l’indice du manque. La logique est la suivante: «Je fais des achats de  peur qu’il n’y ait plus de marchandise.»

Les changements fondamentaux du consumérisme pendant la pandémiev

Malgré le fait, que la consommation soit transformée en besoin primordial, les consommateurs, du reste pour la première fois, ont remis en question leur comportement consumériste après la montée de consumérisme des dernières décennies. Atteignant  son point culminant le consumérisme semble avoir paradoxalement soulevé auprès du public, au moment d’une de ces crises de « cupidité », les questions suivantes : quel est le seuil du minimum nécessaire à long terme ? combien de superflu matériel y a-t-il chez chacun de nous ?  quelles sont les dépenses superflues à réduire ? à quel point le seuil du nécessaire peut-il être reculé ? Ce sont des questions que les défenseurs de la nature, les critiques du capitalisme et du consumérisme n’ont pas réussi à faire émaner dans les pensées suroccupées des consommateurs ordinaires durant des années.

La cupidité est propre à la consommation, mais les derniers événements ont montré que le comportement consumériste, caractérisé comme une cupidité avait pour la première fois une justification qui ne résistait surtout pas au blâme. Les bousculades des Black Friday sont formellement semblables aux bousculades et à ces rayons vidés des magasins, mais elles sont différentes au fond. Le côté positif des Black Friday est la création de la possibilité de l’acquisition des marchandises à des prix relativement raisonnables pour les gens qui se trouvent dans une situation sociale plus défavorable, bien qu’en réalité ce n’est qu’un outil de marketing utilisé par les vendeurs pour réaliser des bénéfices. Mais cette stratégie de réduction des prix des marchandises positive et digne d’approbation incite en réalité, à la cupidité au fond, car elle est souvent une incitation à l’acquisition d’une seule ou de plusieures marchandises de trop et inutiles sans même avoir essayé de mettre en question la nécessité du produit et le problème de surcharge productive au niveau planétaire. La grande consommation effectuée pendant cette pandémie  est différente de celle mentionnée plus haut en deux sens au moins. Tout d’abord les psychologues sont unanimes sur le fait, que les achats de panique sont un moyen pour les gens de contrôler la situation et donc, ils jouent le rôle du remède à l’anxiété. Deuxièmement, il semble que cette consommation  de masse suit la même logique de l’achat superflu, car le volume et l’intensité des achats augmentent, pourtant ils ont des raisons objectives : ils n’ont pas pour but l’abondance, le divertissement ou l’accentuation de la particularité individuelle et la construction des identités, comme le disent les critiques du consumérisme, mais ils expriment le besoin naturel humain de s’assurer contre le danger de la famine, bien que ce soit souvent exagéré. On voit que la forme du consumérisme reste la même  (par exemple, la lutte de plusieurs consommateurs pour le même article, les files d’attente interminables, les chariots surchargés), mais les motifs de la consommation ont changé.

En donnant la priorité au besoin de s’assurer contre la famine, le public mondial a pour un certain temps cessé de rendre hommage à l’abondance, à l’exotisme typique du consumérisme. En témoigne le fait que pendant l’épidémie ce ne sont pas les objets de luxe qui sont devenus des produits sujets à la consommation, mais principalement les marchandises de première nécessité, à cause du confinement de la population des mégapoles, des rues relativement vides, de la fermeture de beaucoup de centres commerciaux, du passage au télétravail par la plupart des entreprises, de la réduction brusque des  transports et des vols et de bien d’autres facteurs. La plupart des marchandises exportées et importées sont aussi de première nécessité. En outre, toute l’industrie  du divertissement qui est la part du lion du consumérisme a passé dans le champ virtuel, car ce n’est que le choix entre le divertissement et la sécurité qui est capable de subordonner le premier au second.

Si auparavant le shopping était considéré comme un composant du divertissement, car les flȃneries, les balades dans les magasins le plus longtemps possible faisaient partie intégrante du quotidien des centres commerciaux,  actuellement les courses,  devenant une première nécessité, se font rapidement et sans poursuite de divertissement.

Pendant la pandémie des règles d’achat complètement différentes de celles répandues auparavant par les exhortations du marketing ont été finalement établies. The Guardian résume les cinq règles d’achat répandues, qu’il invite à suivre. Ce sont le respect de la distance sociale en faisant les courses, la nécessité de faire les achats seul et non pas en groupe, l’encouragement de n’acheter que les produits les plus nécessaires, la réservation des horaires particuliers d’achat aux groupes vulnérables, si possible le recours aux services de livraison. Toutes ces règles suspendent d’une manière ou d’une autre les modèles capitalistes traditionnels du comportement consumériste. Le problème c’est que les centres commerciaux sont des lieux fréquentés, et plus ils sont fréquentés, plus il y a une probabilité d’un indice élevé d’achat. L’augmentation du nombre des acheteurs provient des intérêts des vendeurs, car les centres commerciaux « avec divers mécanismes de tentation et un riche arsenal » (vitrines ravissantes, panneaux publicitaires attirants, centres proposant tout service nécessaire, possibilités de tout organiser dans un seul endroit etc.) « forcent » plusieurs milliers de consommateurs à « rouvrir » le « porte-monnaie » une fois de plus, ce qui contribue à l’augmentation du nombre total des achats auprès de ces centres. Le respect de la distance sociale et l’appel à faire des courses tout seul « dépeuplent» les centres commerciaux trop occupés, et agissent ainsi contre les intérêts du business.

L’autre exhortation, celle  de n’acheter que les produits les plus nécessaires est aussi un appel, qu’on ne rencontre pas souvent dans un monde en quête de plus de profits. Par suite d’un grand volume d’achat, dans un certain nombre de pays on a commencé à remarquer une pénurie de certaines marchandises. C’est alors, qu’un phénomène, presque ou peu rencontré dans le monde capitaliste a eu lieu. Certains pays ont limité l’achat d’un certain nombre de marchandises. Avant la pandémie les producteurs appelaient les consommateurs à acheter le plus possible et ils allaient produire une quantité de plus en plus grande. Le désir d’achat a été sans cesse provoqué  par les producteurs et les autres acteurs, dont les gouvernements, à l’aide des méthodes variées comme la publicité en particulier. C’est pourquoi, les publics, qui ont l’habitude d’entendre l’appel « achetez tout le temps ! », ont du mal à suivre l’exhortation contraire des gouvernements pendant la pandémie et parfois ont recours aux moyens détournés pour réussir l’acte  « salutaire » d’achat : par exemple, ils achètent le même article non pas dans un seul magasin, mais aussi dans plusieurs autres en quantité minimale obtenant ainsi  une quantité supérieure à la quantité définie.

Et pour les groupes vulnérables la réservation des horaires particuliers d’achat est un phénomène tout à fait exceptionnel dans ces nouvelles conditions. Les heures permises pour les courses  transmettent une nuance d’humanité  au processus en quête du profit  de consommation. En termes simples, si une personne n’appartient pas au groupe vulnérable et fait des courses à l’heure destinée à lui-même, évitant de mettre en péril le groupe vulnérable, commet donc un acte imprégné de l‘esprit d’humanité.

Enfin, pour minimiser les contacts humains, les producteurs et les centres commerciaux ont commencé à faire appel à recourir à l’achat en ligne et aux services de livraison. Les achats en ligne et l’obtention de la marchandise souhaitée chez soi facilitent d’une part la vie des consommateurs, car plus l’achat est facile, plus la consommation est probable, d’autre part ils diminuent souvent, mais pas forcément, la probabilité de faire des achats superflus, car tout d’abord ce sont les centres commerciaux, qui augmentent la consommation par la publicité et par d’autres moyens. Cependant, il faut prendre en compte une autre circonstance: si l’achat en ligne facilite le devoir des consommateurs, il rend difficile le devoir  du personnel de service – des expéditeurs -, en divisant le public en deux groupes : ceux qui ont la possibilité de s’isoler et ceux qui en sont privés. Cela est particulièrement évident dans les pays ayant un indice  de pauvreté élevé, où la plupart des gens, qui veulent travailler dans les conditions de restriction les plus strictes sont les citoyens pauvres, qui travaillent  pour un salaire journalier. En conséquence, le consumérisme met en évidence les règles de jeu inégal propre au monde capitaliste non pas comme avant par la différence du degré du pouvoir d’achat ou par le volume du commerce effectué, mais par la possibilité de se permettre ou pas le luxe de ne pas travailler. Autrement dit, le monde était inégal avant et maintenant, mais actuellement cette inégalité est visible non seulement par le contenu du portefeuille ou du compte bancaire, mais du fait si ce contenu donne la possibilité de ne pas travailler pendant un certain temps.

Ainsi, après les achats de panique réalisés durant la pandémie, le consumérisme est inévitablement entré dans un nouveau cycle, qui est différent de celui du XXe siècle, de ses motifs et de ses justifications ou de ses critiques. Après tout ça l’une des principales questions c’est de savoir si le monde reviendra aux mêmes rythmes et aux mêmes modes de consommation attisé par une nostalgie de consommation tout à fait compréhensible ou s’il cherchera toutefois de nouvelles formes de culture de consommation en tirant des conclusions ou s’il devra diminuer la quantité de consommation à cause du manque d’argent dû à  l’absence du travail. Finalement, consommer signifie obtenir ou profiter du produit ou du service créés par la créativité de l’esprit de quelqu’un, par conséquent, à part d’être un facteur contribuant au développement économique, c’est du moins un acte qui favorise la créativité. Cependant, il faut en même temps peser le pour et le contre  des limites d’une consommation dont les rythmes étaient en augmentation progressive il n’y a pas longtemps.

Bibliographie

1.Բայադյան, Հրաչ. 2016. Վիդեոբառարան _Սպառողական հասարակություն.
2. Baudrillard, Jean. 1998. The Consumer Society: Myths and Structures. Sage, London, England.


Auteur: Marine Khachatryan © Tous droits réservés․
Traduit par: Hermine Muradyan.