L’Arménie dans le coeur de cible du mégaprojet indien

Depuis peu circule activement la possibilité de la mise en œuvre du nouveau projet indien considéré comme variante alternative à l’entreprise chinoise « Une zone, une voie », par le passage de Chabahar. Les discussions autour du projet ont été projetées et organisées dès le début à l’initiative indienne.

En quoi peut-on considérer le projet indien comme alternative au projet chinois, quels risques et possibilités crée-t-il, et le côté arménien, peut-il ou est-il prêt à prendre des mesures au bon moment en ce cas-là, tirant des leçons de son expérience échouée du mégaprojet chinois ?

L’Arménie, cible du mégaprojet indien; tirerons-nous des leçons de la tentative échouée du projet chinois ?

Le côté indien prévoit utiliser le Corridor international de transport Nord-Sud (CITNS) dans le cadre de la coopération internationale de transport. Il est devenu l’objet de discussions au niveau international, considéré souvent comme variante alternative au projet chinois « Une zone, une voie » (UZUV). Les discussions autour de la réalisation du projet et de la possibilité de la participation de divers pays continuent jusqu’à aujourd’hui.

Finalement, comment ce projet a-t-il débuté et qu’est-ce qu’il suppose ?

Au début le Corridor international de transport Nord-Sud (CITNS) a été entrepris par l’Inde, l’Iran et la Russie en 2000 à Saint-Pétersbourg et a inclu ultérieurement 10 autres pays : l’Azerbaïdjan, l’Arménie, le Kazakhstan, la Kirghizie, le Tadjikistan, la Turquie, l’Ukraine, le Bélarus, l’Oman, la Sirie et la Bulgarie. Il prévoit un réseau complexe d’itinéraires ferroviaire, maritime et terrestre de transport de marchandises d’une longueur de 7200 km. 

Une étude réalisée par la Fédération des Transporteurs de l’Inde (FFFAI) a montré que cet itinéraire « est moins cher de 30% et plus court de 40% que l’itinéraire traditionnel actuel. » Selon l’évaluation, le corridor contribuerait au transport de 20 à 30 millions de tonnes de marchandises par an. Le Corridor international de transport Nord-Sud (CITNS) aiderait l’Inde à avoir un accès facile à l’Asie Centrale par le territoire de l’Iran et hors celui-ci. L’étude prévoit que le Corridor aurait une influence sur l’engagement de l’Inde dans l’Eurasie, car l’Inde – la cinquième économie du monde par sa grandeur – s’attend à créer des liens plus forts et plus profonds dans la région. Contournant le Pakistan, le Corridor international de transport Nord-Sud (CITNS) consoliderait sa coopération avec la Russie et les autres membres du projet servant ainsi les intérêts géopolitiques de l’Inde.

Le rôle du port de Chabahar dans le projet de transport indien

L’accord de transit trilatéral signé en 2016 entre l’Inde, l’Iran et l’Afghanistan permet de transporter les marchandises indiennes à l’Afghanistan par l’Iran. Il lie les ports du bord occidental de l’Inde au port de Chabahar et inclut les liens routiers et ferroviaires qu’il y a entre les frontières de Chabahar et de l’Afghanistan.

L’accord bilatéral entre l’Inde et l’Iran procure à l’Inde le droit d’exploiter le port de Chabahar pour une période de 10 ans (le délai expirant en 2025).

Selon l’accord, India Ports Global prend la responsabilité de la construction d’un point de déchargement des conteneurs d’une longueur de 640 mètres (2100 pieds) et d’une station de port de débarquement des conteneurs d’une longueur de 600 mètres (1970 pieds) [1]. Selon les accords de Mai 2016, après la fin de la première étape des travaux de modernisation, il était prévu d’augmenter la puissance de Chabahar de 2,5 millions de tonnes préalables jusqu’à 8 millions de tonnes [2]. Pour la mise en œuvre de ces projets prédéterminés il a été transmis à l’Iran un crédit de 150 millions de dollars par la banque indienne Exim [3] [4]. 

Au départ l’Inde avait proposé de fournir de l’acier d’une valeur de 400 millions de dollars pour la construction du chemin de fer Chabahar-Zahedan [5], ainsi que de financer la construction de la voie ferrée de Chabahar à Zahedan, accordant 1,6 milliards de dollars [6].

Après la restauration des sanctions contre l’Iran, les compagnies étrangères étaient contrariées de participer à l’élargissement du port [7]. En 2019 seulement 10% de la puissance générale du port de 8,5 millions de tonnes, ont été utilisés [8]. Les sanctions ont joué un rôle également dans l’engagement de l’Inde et dans la diminution de l’investissement de 1,6 milliards de dollars prévu pour la voie ferrée Chabahar-Zahedan [9]. En 2018 Les États-Unis ont retiré le projet du port de Chabahar des sanctions contre l’Iran, prenant compte de l’importance économique de celui-ci pour l’Afghanistan [10]. 

Néanmoins, le 14 juillet 2020 l’Iran a annoncé qu’il allait continuer de construire lui-même la voie ferrée Chabahar-Zahedan, indiquant comme cause de l’arrêt de la coopération le retard du financement indien. Le gouvernement iranien prévoit de terminer la construction de la communication ferroviaire en mars 2022, utilisant les ressources du fond de développement national de l’Iran [12].

Conforme aux 12 mémorandums d’entente signés en Mai 2016, l’Inde reçoit également la possibilité et le droit de développer différentes branches industrielles (des usines de recyclage de métaux non ferreux, etc.) dans la zone économique de Chabahar, près du port [13]. 

Le port de Chabahar est le seul port de l’Iran qui a accès à l’Océane Indien. Étant proche de l’Afghanistan et des pays de l’Asie centrale – Turkménistan, Ouzbékistan et autres pays – le port a été nommé « Porte d’Or » pour ces pays n’ayant pas de sortie à la mer [14].

90% de la population iranienne étant centrée dans la partie occidentale du pays, la partie orientale du pays est relativement moins développée. L’Iran a l’intention de changer cette image grâce au développement du port de Chabahar, créant une zone de commerce libre et des liens ferroviaires entre Chabahar et l’Asie centrale. Il projette de garder le port de Bandar Abbas qui représente actuellement 85% du commerce maritime de l’Iran, comme centre de commerce avec la Russie et l’Europe et d’utiliser le port de Chabahar comme porte de l’Asie Centrale [15]. Le port surchargé de Bandar Abbas n’est pas un port en eaux profondes et ne convient pas aux cargos océaniens de 250 000 tonnes. Actuellement ces cargos sont déchargés aux Émirats arabes unis (EAU), et la cargaison est transportée vers l’Iran par des cargos plus petits de 100 000 tonnes, pour la livraison ultérieure. Cela met l’Iran en dépendance des EUA et mène à la perte de revenus. Contrairement à Bandar Abbas, le positionnement de Chabahar est meilleur du point de vue de la transportation de cargos standards [16].

Chabahar « contre » Gwadar

L’analyste politique américain Rorry Daniels considérait les investissements indiens mis en œuvre à Chabahar, les investissements chinois mis en œuvre à Gwadar comme des perceptions de « blocus stratégique » de la part des ces pays. C’est-à-dire, selon Daniels, la Chine craint le blocus de la part des États-Unis, l’Inde le craint de la part de la Chine et le Pakistan – de la part de l’Inde. Par conséquent, ces mégaprojets en réalisation deviennent la meilleure manière d’éviter ces encerclements [17].

Très souvent les opinions sont en conflit autour de cette question : pourquoi l’Inde a entrepris ce mégaprojet. Selon certaines approches, en approfondissant sa coopération avec l’Afghanistan,  l’Inde poursuit ainsi le but de bloquer le Pakistan et de créer un contrepoids réel dans la région à la coopération Chine-Pakistan.

Selon une autre approche l’Inde a besoin de l’accès au fer la de mine de Hajigak de l’Afghanistan et d’autres ressources naturelles des pays de l’Asie centrale (le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan), ce qui devient possible grâce au port de Chabahar [18].

Étant donné que l’Inde considère le port de Gwadar comme la manifestation d’une coalition forte entre la Chine et le Pakistan qui tend à « étouffer » les investissements indiens dans la région de l’Océan Indien [19], elle a donc vraiment besoin d’établir un contrepoids naval à la présence de la Chine à Gwadar. Gwadar permet aussi à la Chine de « surveiller » l’activité des forces navales des États-Unis et de l’Inde dans le Golfe Persique. L’Inde le perçoit comme une menace directe, et sa réponse a été justement le soutien à la construction du port de Chabahar  [20].

Les risques et les possibilités du projet

Comme tout projet d’envergure, le projet indien ne peut pas être exempt de risques éventuels. Le premier risque éventuel est qu’on peut se retrouver dans une telle situation où l’Iran aura le problème de choix stratégique entre le Corridor international de transport Nord-Sud (CITNS) de l’Inde et « Une zone, une voie » (UZUV) de la Chine. Les possibilités de la manifestation du risque ci-dessus indiqué grandissent sur le fond de la coopération croissante sino-iranienne : en mars 2021 la Chine a signé avec l’Iran un document de coopération stratégique de 25 ans dont les investissements chinois de 450 milliards de dollars dans différentes sphères économique de l’Iran en sont l’axe.

L’autre risque est lié aux positionnements de la Russie. Celle-ci attache de l’importance au projet, car il lui donne la possibilité de se connecter au Golfe Persique par la voie ferrée. Mais le risque des sanctions occidentales liées à l’engagement militaire et politique de la Russie dans l’Ukraine diminue la possibilité de la mise en œuvre des investissements d’infrastructure dans les autres pays membres du projet. Même si la Russie est membre direct du projet chinois « Une zone, une voie » (UZUV) par le Nouveau pont terrestre eurasiatique et par le corridor économique Chine-Mongolie-Russie, néanmoins elle attache de l’importance également à la coopération russo-indienne, car la Russie considère l’Inde comme une superpuissance asiatique, comme meilleur moyen d’équilibrer les forces avec la Chine.

Quel est le rôle de l’Arménie dans ce projet ?

En mars 2021 le côté indien a annoncé en Iran qu’elle projetait de lier le port de Chabahar à l’Eurasie par le territoire de l’Arménie, créant le Corridor de transport international Nord-Sud (INSTC), ayant l’intention de rendre Chabahar le port le plus important et le plus indispensable de la région. Même si cette annonce a provoqué beaucoup d’enthousiasme dans les cercles arméniens, mais, comme cela a été le cas du projet chinois, l’Arménie est encore une fois loin de la possibilité d’y avoir un rôle actif. Le problème est encore une fois lié à l’absence ou au sous-développement des infrastructures correspondantes. Les nouvelles infrastructures supposent d’énormes investissements étrangers, et les investissements à leur tour sont en corrélation avec l’état politique, militaire et social du pays. Tant que l’état socio-économique, politique et militaire de l’Arménie reste instable, il est difficile d’imaginer comment un investisseur raisonnable serait prêt à faire des investissements dans un pays où la productivité et la rentabilité des investissements effectués peuvent être réduites à zéro en cas de manifestation de risques éventuels.

Si l’Arménie rejoint le projet et que le Corridor de transport international Nord-Sud passe par les frontières arméniennes, alors le pays aura accès à la Mer Noire comme au Golfe Persique. Cela faciliterait l’accès des transporteurs arméniens aux marchés internationaux et permettrait d’exporter la production lancée par des procédures simplifiées par voie terrestre aussi bien que par voie maritime.

À la différence de l’Arménie, l’Azerbaïdjan participe pleinement au projet tout en construisant de nouveaux chemins de fer et routes ferroviaires afin de compléter les cercles manquants au Corridor de transport international Nord-Sud. De cette manière l’Azerbaïdjan non seulement consolide son rôle dans les processus internationaux et régionaux, mais aussi continue de garder l’Arménie dans le blocus et l’isolation économique continuels.

Tout en étant le partenaire stratégique de Pakistan – ennemi de l’Inde – l’Azerbaïdjan joue un rôle plus important pour le Corridor de transport international Nord-Sud dans l’affaire de la réalisation de la vision eurasienne de l’Inde, que l’Arménie qui a un besoin urgent d’investissements pour rétablir son rôle dans ces réseaux commerciaux.

Comment l’Arménie peut-elle réaliser une position avantageuse dans la région ?

Les profits économiques et géopolitiques changent parallèlement aux développements situationnels qui ont un effet direct également sur le commerce international. Le rapprochement Pakistan-Azerbaïdjan-Turquie pousse l’Inde à augmenter son intérêt pour l’Arménie, par conséquent augmente l’intérêt de voir l’Arménie et non pas l’Azerbaïdjan comme participant et membre direct du projet, tenant compte aussi du fait que l’Arménie est le seul pays membre de l’Union économique eurasiatique (UEEA) dans la région qui a une frontière terrestre avec l’Iran. Au résultat, quand l’Iran montre une volonté d’initiative évidente de devenir dans l’avenir un membre  jouissant de tous les droits à l’UEEA et que l’Inde manifeste un intérêt continuel pour l’établissements des relations commerciales avec l’UEEA, alors la probabilité pour l’Arménie de participer aux projets commerciaux régionaux augmente de ce point de vue. Mais les intérêts géopolitiques sont poussés au second plan en cas de sous-développement des infrastructures. Cela veut dire que autant que l’Arménie est intéressante du point de vue de sa position transitaire, elle va continuer de rester sans intérêt aux étapes pratiques de la réalisation des projets tant qu’elle ne saura pas satisfaire les exigences minimales pour les nœuds routiers.

L’Arménie pourrait entraîner l’Inde aux investissements si elle pouvait assurer un approfondissement de la coopération bilatérale politique et économique. Or, il faut attacher de l’importance prioritaire à la mission lobbyiste. À savoir que le côté arménien doit non seulement exprimer sa bonne volonté mais aussi elle doit organiser et réaliser des forums d’affaires pour les entrepreneurs et les investisseurs des pays membres du mégaprojet et présenter les profits éventuels qui peuvent être acquis en cas de la participation en pratique de l’Arménie au projet. En cas d’utilisation proportionnelle des facteurs indiqués les opportunités de l’Arménie de faire partie de tels mégaprojets internationnaux augmenteront.

Adhérant à de tels projets, l’Arménie pourrait non seulement se libérer de l’isolation commerciale lui imposée par la Turquie et l’Azerbaïdjan, indépendamment de l’entente sur le déblocage des voies commerciales entre Erevan et Bakou qui ont trouvé lieux dans l’annonce tripartite du 9 novembre, mais également deviendrait un acteur important dans les voies commerciales internationales. Ce projet doit être pour l’Arménie comme priorité de sécurité nationale; or le pays doit entreprendre des mesures sérieuses pour arrêter l’isolation et pour entraîner des investissements étrangers dans des projets routiers et ferroviaires. Si l’Arménie ne travaille pas une stratégie convenable, ce projet restera également tel un rêve inaccompli comme cela a été le cas du projet chinois « Une zone, une voie ».


Auteur : Narine Petrosyan © Tous droits réservés.

Traduit par Lusine Aghajanyan