«Coriolan» est l’une des trois tragédies romaines de Shakespeare («Jules César» «Antoine et Cléopâtre» et «Coriolan»). La source principale de la pièce a été empruntée à l’œuvre «Les Vies parallèles» de Plutarque où il s’agit d’une série de biographies d’hommes illustres du monde gréco-romain. Parmi ses vingt-deux paires de Vies, Plutarque a écrit aussi sur Caius Marcius Coriolan qui se différencie du héros de la tragédie de Shakespeare. Dans son œuvre, Plutarque, contrairement à Shakespeare, le décrit comme un politicien et un personnage péjoratif. Selon l’historien, il a été exilé en raison de faire augmenter le prix du pain pendant la famine dans le pays.
Les évènements de la pièce se déroulent dans la Rome antique. Le sujet de la tragédie se développe en quelques directions. Premièrement, c’est la lutte des Romains et des Volsques, révélant principalement des traits moraux et physiques des héros, d’autre part, le développement des relations entre le peuple romain et les hommes politiques et d’Etat. Caius Marcius Coriolan qui est le héros principal, retourne à Rome après avoir gagné la guerre contre les Volsques et se présente aux élections consulaires. C’est là que le nœud de l’intrigue est dévoilé, lorsque les tribuns populaires, craignant la gloire de Coriolan et ses succès possibles, convainquent le peuple de voter contre lui. Dans la littérature mondiale, la pièce est perçue comme une lutte des patriciens et des plèbes. La raison de l’émergence de ce point de vue est la différence entre l’œuvre de Plutarque et la tragédie. Dans le texte de Plutarque, Coriolan était le partisan de l’aristocratie, alors que Shakespeare a modifié le sujet lui donnant un caractère positif qui lutte contre les patriciens.
L’idée fondamentale de l’œuvre ne consiste pas dans le contraste entre les aristocrates et les plèbes, mais c’est l’affrontement de l’individu et de la foule, plus spécifiquement, le conflit de Coriolan et de la foule.
Patriciens et Plébéiens
Dans «Coriolan», il existe une lutte entre les Patriciens et les Plébéiens comme on l’aperçoit dans un discours d’un citoyen, mais ce n’est pas l’idéologie principale de la pièce.
«PREMIER CITOYEN–Nous sommes rangés parmi les pauvres citoyens, les patriciens parmi les bons. Ce qui fait regorger les autorités nous soulagerait : s’ils nous cédaient à temps ce qu’ils ont de trop, nous pourrions faire honneur de ce secours à leur humanité. Mais ils nous trouvent trop chers. La maigreur qui nous défigure, le tableau de notre misère, sont comme un inventaire qui détaille leur abondance. Notre souffrance est un gain pour eux. Vengeons-nous avec nos piques avant que nous soyons devenus des squelettes, car les dieux savent que ce qui me fait parler ainsi, c’est la faim du pain et non la soif de la vengeance».
Les mots du Premier citoyen nous montrent clairement que les autorités cherchent à satisfaire leurs désirs. Ils profitent de la loi, du pouvoir et de toutes autres opportunités pour contenter leur propre bien-être. Ce phénomène est typique pour toutes les sociétés, y compris dans la réalité arménienne.
Relation entre l’individu et la foule
La société ou la foule, avec ses fonctions, est soumise aux changements réguliers. Il peut supplanter la personne qui cesse de se conformer à leurs exigences et qui présente une menace pour lui. En outre, la société devient dangereuse lorsqu’elle n’exécute pas les fonctions qui lui sont caractéristique. Citons le discours de Marcius adressé à la foule :
«Celui qui se fie à vous, au lieu de trouver des lions, ne trouve que des lièvres ;
Au lieu de trouver des renards, ne trouve que des oies.
Vous n’êtes pas plus sûrs que le charbon sur la glace, ou que la grêle au soleil.
Votre vertu consiste à ériger en homme vertueux celui que ses crimes soumettent aux lois,
Et à blasphémer contre la justice qu’on lui rend.
Quiconque mérite la grandeur, mérite votre haine.
Vos affections ressemblent au goût d’un malade,
Dont les désirs se portent sur tout ce qui peut augmenter son mal.
Chaque minute vous voit changer de résolution,
Appeler grand l’homme qui naguère était l’objet de votre haine,
Et donner le nom d’infâme à celui que vous nommiez votre couronne !».
Mettant en opposition l’individu et la foule, l’auteur nous indique la barrière profonde qu’une personne fameuse ou autosatisfaite voit entre la société et elle-même, ce qui peut conduire à un effondrement de deux côtés.
Lorsque Coriolan est apparu devant la maison d’Aufidius mal vêtu, déguisé, les esclaves ont voulu le chasser en battant, mais dès qu’ils ont appris que c’était un noble, ils ont dit :
«SECOND ESCLAVE. – Sur ma foi, j’ai failli le frapper : mais certain pressentiment m’arrêtait et me disait que ses habits n’accusaient pas la vérité.
PREMIER ESCLAVE. – Quel bras il a ! Du bout du doigt il m’a fait tourner comme un sabot.
Ou bien ces mêmes esclaves, en apprenant qu’une guerre sera déclarée entre les Volsques et les Romains, annoncent :
SECOND ESCLAVE. – Bon : nous allons donc revoir le monde en mouvement !
Cette paix n’est bonne à rien qu’à rouiller le fer, enrichir les tailleurs, et nourrir des chansonniers.
PREMIER ESCLAVE. – Moi, je dis : ayons la guerre ; elle surpasse autant la paix que le jour surpasse la nuit․․․
SECOND ESCLAVE․ – C’est cela, et comme la guerre peut s’appeler un métier de voleur,
La paix n’est bonne qu’à faire des cocus.
PREMIER ESCLAVE. – Oui, et elle rend les hommes ennemis les uns des autres».
Les extraits susmentionnés sont l’un des meilleurs exemples qui révèlent les relations entre l’individu et la société, ainsi que le manque de principe de la foule, l’absence de sa propre position et le défaut de sa vision envers les objets et les phénomènes en sont des preuves vivantes. Le fait de préférer la nuit au jour et la guerre à la paix ne consiste pas dans leur courage ou dans leur originalité, mais dans le fait d’accepter les grés de leurs maîtres comme une vérité incassable. Ces esclaves représentent les personnages collectifs du même niveau qui disent et agissent tout simplement comme leurs maîtres et leurs dirigeants le désirent.
Dans la pièce Shakespeare met l’accent sur la perception de «troupeau», grâce à laquelle Brutus et Velutus, les tribunes de la plèbe, manipulent et dirigent le peuple en le poussant à d’autres démarches. Ces derniers sont des politiciens ayant comme but de tenir le pouvoir et la gloire, mais ils ne font rien sauf nourrissent le peuple des mots vides, tandis que le personnage de Coriolan, sans aucune vanité, lutte pour la paix et la prospérité du peuple.
La foule est poltronne et stupide: elle a peur d’avoir sa propre opinion et de prendre des décisions, et les politiciens utilisent ce fait pendant leur direction. La foule n’a pas de mémoire et avance juste sous l’influence du moment présent, elle oublie immédiatement quel sacrifice a fait Coriolan pour gagner la guerre contre les Volsques et libérer les Romains de leurs attaques.
Elle ne se rappelle que le fait que ce Romain déteste le peuple et veut devenir consul pour détruire les habitants de Rome. Mais quand Marcuis, renforcé et à la tête de l’armée d’Aufidius, revient, la foule commence à regretter de l’avoir exilé.
«PREMIER CITOYEN. – Pour moi, quand j’ai crié : Bannissez-le! j’ai dit aussi que c’était bien dommage.
TROISIÈME CITOYEN. – J’ai dit la même chose ; et, il faut l’avouer, c’est ce qu’a dit le plus grand nombre d’entre nous : ce que nous avons fait, nous l’avons fait pour le mieux ; et, quoique nous ayons volontiers consenti à son exil, ce fut cependant contre notre volonté».
Ces citoyens devenus une foule et privés de leur indépendance, qui sont parvenus à faire exiler le héros de Rome, n’ont pas de sens de responsabilité. Ils rejettent toute la faute les uns sur les autres et essaient de se retirer de cet environnement, ce qui souligne manifestement leur indiscipline et leur appartenance à la foule. Ce phénomène a été toujours présent dans chaque époque. Même dans la réalité arménienne, la foule se plaint constamment de la politique du pays et du fait d’être son jouet. Mais en fin de compte elle ne fait rien.
Dans la tragédie, les épanchements du regret et la colère de la foule se succèdent, à la suite desquels elle traîne Brutus dans les rues déclarant que le retour de Coriolan à la tête de l’armée des Volsques et la raison de leur colère est de sa faute. Le peuple ne sait pas ou ne veut pas se rendre compte qu’il est responsable pour ses actions et ses décisions et c’est à cause de sa faiblesse que les politiciens l’utilisent comme une marionnette.
Les Volsques, comme les Romains, sont également privés de leurs mémoires. Quand Coriolan entre dans la ville, ils le saluent avec un vif enthousiasme et applaudissements, oubliant qu’à la suite de la guerre précédente, ce même général a tué leurs fils, leurs maris et les résidents.
«SECOND CONJURÉ. – Et tout ce peuple stupide,
Dont il a tué les enfants,
S’enroue lâchement à célébrer sa gloire».
Mais dès qu’on rappelle à la foule ce que Caius Marcius a fait contre Volsques, elle se révolte immédiatement.
Il est à noter que ce phénomène est propre à toutes les sociétés, puisque, comme on l’a mentionné, la société, en particulier la foule, est privée de la conscience individuelle. Ils ne sont guidés que par les fonctions «collectives» sans se rendre compte de leur vraie valeur.
Relation individu-groupements
D’habitude, les groupes ou la communauté ne peuvent pas tolérer les personnes talentueuses qui ne partagent pas leur opinion. Tous ceux qui ne partagent pas leurs désirs représentent également un danger pour eux, comme par exemple la foule parce que les gens qui la forment n’ont pas leur «propre ego» et leur conviction, mais seulement des aspirations variables. Ainsi, l’individu qui ne suit pas cette foule et qui réclame sa place, peut menacer les groupements. Les paroles d’Agrippa adressées à Brutus et les gens comme lui sont aussi remarquables :
«MÉNÉNIUS – Vous recherchez les coups de chapeau et les courbettes des pauvres malheureux ; vous perdez la plus précieuse partie du jour à entendre le plaidoyer d’une marchande de citrons contre un marchand de robinets, et vous remettez à une seconde audience la décision de ce procès de trois sous».
Les mots d’Agrippa indiquent la différence entre les patriciens et les tribuns de la plèbe sur qui Shakespeare met l’accent pendant toute la tragédie. Les aristocrates ont des principes, un sens de la justice et de la responsabilité qui les poussent en avant. Ils ne vendent pas leur dignité pour les sous et restent fidèles à leur titre.
Dans la tragédie W. Shakespeare a décrit les conspirations des tribuns de la plèbe et des politiciens par rapport de cause à effet. Coriolan représentait alors un danger pour eux, donc toutes les intrigues et les mensonges étaient normal.
«BRUTUS. – Il faut le perdre, ou nous perdons notre autorité.
Pour arriver à nos fins, ne nous laissons pas de représenter aux plébéiens quelle haine Marcius a toujours nourrie contre eux».
Malgré tout, Shakespeare est resté fidèle au portrait de Coriolan et l’a doué des qualités telles que le courage, l’honnêteté, la fierté et la conscience de l’amour-propre (typique à un aristocrate ou patricien). Le héros principal n’accepte pas, malgré le danger d’être exilé, de mentir ou de flatter le peuple et c’est à cause de ces qualités qu’il a été condamné à la mort. Coriolan déteste la foule pour sa variabilité et l’instabilité et surtout quand elle respecte ceux qui ne le méritent pas. À partir de là, l’affrontement entre individu et groupements commence (en ce cas, c’est entre Coriolan – les tribuns de la plèbe -le sénat), car leur incompatibilité d’idée et de principe est finalement dévoilée.
«CORIOLAN. – Vile meute de chiens, dont j’abhorre le souffle
Comme la vapeur empestée d’un marécage,
Et dont j’estime les faveurs comme ces cadavres privés de sépulture qui infectent l’air,
Je vous bannis et vous condamne à rester dans cette enceinte en proie à votre inquiète inconstance. Qu’à chaque instant de vaines rumeurs troublent vos cœurs!».
Certes, il voulait être connu, parvenir à sa gloire, être un leader ce qu’il devait obtenir grâce à son exploit et son amour pour sa patrie mais pas à travers son éloquence et ses blessures. Un tel pouvoir devrait d’abord affaiblir la force et l’influence des tribuns de la plèbe qui ne pourraient plus manipuler le peuple et l’exploiter, atteindre leurs objectifs à des fins spéculatives, donc des mesures pour éviter un tel développement devraient être prises.
Enfin, une personne ayant une plateforme nette de réflexions et d’idéologies ne pouvait pas être soumis aux humeurs : cependant, la fin de la tragédie est parfaitement convaincante (le meurtre de Coriolan). Dans ce cas, la société avait peur de quelqu’un qui était différent d’elle, et se rendait bien compte qu’il était meilleur qu’elle-même, donc la peur instinctive commence à prendre le pas. D’un point de vue psychologique, la rage du peuple et des politiciens est justifiée car ces derniers risquaient de devenir secondaires.
En étudient la tragédie «Coriolan» de W. Shakespeare, nous pouvons remarquer que l’auteur a décrit un individu qui, aspirant à une activité politique et au leadership, affronte la réalité et les intrigues, mais qui n’arrive pas à les surmonter et à reformer. Comme la foule formait une majorité du public, et si Coriolan n’a pas choisi la voie de manipulation la considérant comme une obséquiosité, il était donc impossible qu’il lutte seul et tente de changer les perceptions et la conscience du peuple dans la société sans mettre en pratique ces principes.
Nous pouvons constater, que Caius Marcuis n’est pas seulement un symbole de la lutte de son époque, mais il devient un phénomène panchronique caractérisant des sociétés de toute catégorie quel que soit le lieu ou le temps.
3. Луначарский А.В., Собрание сочинений: в восьми томах, том 4, Москва 1964, с. 546․ 4. Кориолан / Лекции о Шекспире. http://www.xliby.ru/literaturovedenie/lekcii_o_shekspire/p27.php , 03.08.2017Bibliographie
Auteur : Arlina Sargsyan
Traduit par : Shushanik Makaryan © Tous droits réservés.