La science sur la politique avec l’anthropologie, la sociologie et les autres sciences sociales en même temps nous représente le phénomène du pouvoir en tant qu’un médium omniprésent, omniabsorbant et omnipotent, qui a sa place dans toutes les sphères de la vie sociale ou au moins aspire à être présent, reconnu et réalisé partout. Le plus célèbre défenseur de cette approche est, peut-être, le sociologue français Michel Foucault avec l’introduction de son célèbre terme « biopolitique ». On peut mentionner aussi Niklas Luhmann avec sa théorie sur les systèmes et Carl Schmitt avec son œuvre « Dictature » et son ouvrage « La notion du politique ». Ils sont tous des représentants de l’école du structuralisme des sciences sociales et leurs œuvres et idées créent, par la complémentarité, un ensemble d’outils nécessaires pour comprendre la situation actuelle et les moyens possibles de sa transformation.
Pouvoir omniabsorbant
- Foucault, en décrivant le développement du système capitaliste en Europe occidentale dans ses œuvres, démontre la croissance constante de son omnipuissance par rapport à la vie humaine jusqu’aux limites de l’intimité de la vie privée. Un pouvoir qui par sa nature tend à se faire obéir de tous les domaines de la vie et d’avaler « l’individu ». D’ici vient le terme « biopolitique », qui accentue les tendances du pouvoir de posséder et d’obéir des limites biologiques de l’homme. Le pouvoir, selon les défenseurs de cette approche, fonctionne toujours dans les limites des solutions possibles, il n’est pas une réalisation de la simple chaîne de cause à effet (application de la force-soumission, contrainte) dans le champ public, mais il fonctionne dans le domaine des solutions possibles aléatoires (à l’aide de la conviction, l’idéologie, l’éducation ou les autres instituts du pouvoir symbolique).
Pourquoi possible aléatoire et pas de cause à effet, car le pouvoir ne peut pas être absolu, ni théoriquement au niveau du discours, ni du point de vue de l’application pratique. Pourquoi ne peut-il pas être absolu ? Car du point de vue dialectique, le pouvoir est un processus continu, et tout processus étant en mouvement continu est changeable et, par conséquent, se trouve au domaine de nombreux et variés changements possibles. De ce point de vue, il est au domaine des solutions et décisions imprévisibles. Il n’est pas statique par sa nature et, donc, se trouve constamment dans le champ du changement, si vous voulez, de la lutte, de la réalisation de la volonté de divers acteurs et de la contrainte.
Dans la littérature anglophone, non sans intervention de l’école allemande, il existe un terme décrivant ce phénomène : la « contingence », qui se traduit en arménien par les mots « coïncidence, surprise, éventualité, hasard ». Dans la phrase : « la politique est l’art du possible », on peut remarquer les graines de cette perception de la politique et du pouvoir.
Après cette longue préface nous pouvons passer aux événements récents internes arméniens et de les examiner du point de vue de quelques théoriciens du pouvoir et de la politique et de leurs théories. Une référence spécifique sera faite aux œuvres des sociologues Niklas Luhmann et Michel Foucault et du juriste Carl Schmitt et à l’utilité de l’ensemble des outils qu’ils fournissent pour comprendre les processus qui ont eu lieu et qui auront encore lieu dans la vie politique et sociale de l’Arménie.
Ami-Ennemi
Lorsque le mouvement contre la nomination de Serge Sargsyan en tant que Premier Ministre et la possible éternité de son pouvoir a commencé, Nikol Pashinyan et l’initiative « Rejette Serge », la partie active du secteur oppositionnel de la société ont réalisé la célèbre terminologie de Carl Schmitt : ils ont recommencé le processus politique en popularisant une seule disposition clé : le contraste binaire ami-ennemi. D’ailleurs, en disant « ami » ils comprenaient les participants du mouvement, qui étaient contre Serge Sargsyan, sans aucune condition préalable, et « ennemi » en la personne de Serge Sargsyan, qui devrait partir. Selon Schmitt, c’est seulement le contraste binaire qui rend « le politique » possible : pour les relations où aucun compromis n’est possible ou supposé entre les deux parties opposées, l’une des parties doit imposer sa volonté comme solution. La situation inappropriée de l’Arménie interne de ces dernières années, si vous voulez, cette distinction de nous-eux, a offert la possibilité de donner un caractère politique au mouvement, ce qui est devenu l’un des arguments importants de sa victoire. Un autre indicateur de l’opposition « ami-ennemi » est d’abord la mise en scène de la résistance symbolique (selon P. Bourdieu) et de l’image de l’ennemi symbolique, comme l’utilisation des attributs du rituel de mort dans les rues d’Erevan, devant les maisons des députés du parti républicain, ce qui symbolisait leur personnage inhumain, hostile, compatible avec l’idée de l’ennemi, en plus ce dernier est perçu en tant qu’un être inhumain, qui dans notre cas est expulsé de la société et resté de l’autre côté de la frontière ami-ennemi. Bien sûr, de l’autre part, il est réconfortant que la société ait choisi l’option d’une lutte symbolique, qui parle à la fois de ses qualités et de l’amour particulier de notre société envers les symboles.
Des faits non moins importants sont la psychologie du peuple qui a survécu à un génocide et l’existence de la guerre, qui même dans le domaine théorique excluent autant que possible les pertes humaines « inappropriées » à l’intérieur de la nation.
Absence d’alternative
Dans son œuvre « Confiance et pouvoir », Niklas Luhmann, en parlant des caractéristiques fonctionnelles du système de pouvoir, note que le nombre d’options données par le pouvoir est directement proportionnel à sa force. Ainsi, le pouvoir fort est celui qui donne à l’autre la possibilité de choisir des solutions et des options possibles, en conséquence, donnant à l’autre la possibilité de « choix » parmi les options possibles. Et la chose principale est, que ces options possibles sont également créées par le pouvoir, en créant ainsi un modèle de « double contingence » (double contingency). Dans le cas de la situation dont nous discutons, Serge Sargsyan n’a laissé aucune possibilité de choix à la société, en la personne de sa partie active oppositionnelle, en mettant cette dernière devant le fait accompli et en l’imposant à choisir une seule option : s’adapter à l’idée que Serge Sargsyan est le Premier Ministre. Ainsi, à partir du moment où Serge Sargsyan est devenu le Premier ministre, il a été privé des avantages du modèle de pouvoir qu’il avait créé. Il a rendu son pouvoir absolu en le détruisant ainsi. Ceci est démontré par le fait, qu’étant démissionné, actuellement, on considère non sans raison, qu’il continue d’avoir un certain pouvoir au moins sur le cercle du parti républicain. Et il n’est pas étonnant, que ce cercle républicain, en tant qu’une partie du système de pouvoir créé par Serge Sargsyan, était conduit en dehors de la sphère d’influence réelle, informelle sur la société. Une situation était créée où le pouvoir formel ne possédait plus la situation régnant dans le pays et pendant une certaine période c’était simplement de l’anarchie en Arménie, et, par conséquent, un vide de pouvoir avait émergé, un vide de pouvoir dont la conséquence était l’effondrement de l’État et de l’appareil d’État, car l’État est avant tout un système politique et il ne peut pas exercer son pouvoir s’il n’est pas accepté ou reconnu par la société. À partir de cette époque moderne, ces États sont considérés comme forts et réussis, où les institutions du pouvoir formel coïncident avec les caractéristiques du pouvoir légitime, où le pouvoir formel est adopté et réalisé par la société et l’homme se considère comme une partie inséparable du système étatique.
Maintenant, en revenant aux développements et transformations possibles, référons-nous encore une fois à l’ensemble des outils cité ci-dessus. Au moins dans la vie parlementaire, on s’attend à avoir une vie politique littéralement réanimée et les mois à venir sont supposés ne pas céder par leur attractivité aux sessions du Conseil Suprême de la RA des années 1990-1991. Il n’est pas par hasard que certains utilisateurs de Facebook mentionnaient qu’ils avaient suivi les sessions de l’assemblée en 1990-1991, pour la dernière fois. C’est donc un indicateur clair du fait que les gens ressentant, comprenant et réalisant le politique et y trouvant leurs intérêts, commencent à aborder la question d’une nouvelle manière, ce qui est une autre preuve que la situation a radicalement changée, au moins dans la situation actuelle. Le nouveau gouvernement et le gouvernement de consensus popularisé par le Premier Ministre sont un certain pas en arrière en termes d’opposition frontalière, mais c’est un moment merveilleux du point de vue stratégique pour se préparer, en unissant les forces, à la lutte politique et à la deuxième et la plus importante arrivée de la politique réelle, aux élections législatives à venir.
Bibliographie
Auteur : G. Madoyam. © Tous droits réservés.
Traduit par Olya Harutyunyan.