COVID-19 a lancé de nouveaux défis aux gouvernements du monde, qui se sont trouvés dans une situation unique : la mise en œuvre des mesures de la distance sociale et de l’isolement par les organes d’Etat nécessite plus de travail, tout en étant obligé de minimiser les contacts physiques. Les outils d’e-gouvernement [1] élaborés au cours des dernières décennies permettent aux gouvernements d’équilibrer en quelque sorte ce dilemme entre le maintien du régime de la quarantaine et une gouvernance efficace. Au cours des décennies précédentes de nombreux gouvernements du monde entier ont élaboré des systèmes vastes d’e-gouvernement pour rendre les services publics accessibles aux citoyens en mode et en ligne ; aussi sont-ils devenus des plateformes importantes pour la sensibilisation du public et l’organisation des mesures anti-épidémiques lors de la pandémie. Certains gouvernements comme, par exemple, celui de la Grèce qui a mis en place une plateforme électronique unifiée des services publics après la montée de l’épidémie, ont pris conscience de la nécessité d’une plateforme unique d’e-gouvernement. Les outils électroniques déjà mis en marche ont été complétés par les gouvernements avec une nouvelle boîte à outils de surveillance et de gestion des situations épidémiques afin de relever efficacement les défis de celles-ci.
L’étude de ces processus dans différents pays permettra de comprendre les avantages et le rôle de l’e-gouvernement dans les situations de crise. Nous avons étudié l’expérience de Taïwan et de l’Estonie en tant qu’exemples intéressants d’ outils de l’e-gouvernement en situation d’épidémie. Dans une section distincte, nous présenterons aussi l’état de l’e-gouvernement en Arménie, qui a également fait de grands progrès dans ce domaine au cours des dernières décennies.
Les dernières tendances de l’ e-gouvernement
Depuis les années 2000 parallèlement au développement des technologies de l’information, les gouvernements ont activement introduit les technologies de l’information et de la communication pour accroître l’efficacité de la gestion. L’enquête de l’ONU sur la gouvernance électronique de 2018 montre que la grande majorité des États membres de l’ONU incluent certains outils de gouvernance électronique dans leur système gouvernemental. Depuis 2018 la plupart des gouvernements fournissent les services en ligne suivants : redevances des services communaux (140 pays), paiement de l’impôt sur le revenu (139 pays) et enregistrement de nouvelles entreprises (126 pays). Les services les plus répandus sont : le paiement des amendes, la demande de l’extrait de naissance ou du certificat de mariage, l’enregistrement des véhicules, la demande du permis de conduire et de la carte d’identité.
Une telle contribution intensive de la gouvernance électronique et le développement d’une société numérique ont conduit à une utilisation croissante des services en ligne dans de nombreux pays. Ainsi par exemple, en 2019, plus de 89% des contribuables américains ont déclaré leurs impôts sur les revenus en ligne, 98% (2019) en Estonie, 93.5% (2018) au Royaume-Uni , 68% (2019) au Japon, 78% (2018) des citoyens à t revenu élevé en France, 90% (2020) au Canada, etc. Certains pays, à l’instar de l’Estonie, ont créé des plateformes de vote en ligne ; pendant les élections du Parlement européen 46.7% des citoyens de l’Estonie ont voté en ligne. Aux Etats-Unis ainsi que dans beaucoup de pays, la plupart des citoyens paient en ligne les redevances des services communaux (56% en 2017).
Les gouvernements, à côté des outils d’e-gouvernement déjà existants, développent de nouveaux outils numériques pour lutter contre le virus. Au 8 avril 2018, 86% des gouvernements du monde entier diffusaient déjà des informations sur le virus sur leurs plateformes électroniques.
La création des applications est un autre moyen de diffuser de l’information et de contrôler le virus. Les applications de traçage des contacts (contact tracing apps) et d’alerte sont les plus répandues. Ces applications permettent de fixer les contacts des citoyens ; ensuite si l’un des utilisateurs est testé positif au virus, et qu’il l’indique dans l’application, le citoyen ayant été en contact avec lui recevra un message d’alerte. Au 19 avril, de telles applications sont en cours d’utilisation dans plus de 29 pays, et les États membres de l’UE se sont mis d’accord sur l’échange de l’information entre les applications nationales. Cela signifie qu’en cas de déplacement d’un pays à l’autre les citoyens de l’UE ne seront pas obligés de télécharger l’application du pays de destination, les applications de tous les pays étant capables d’échanger des informations, et la surveillance du déplacement des citoyens contaminés et soumis au confinement à domicile est effectuée dans de nombreux pays par une géolocalisation permanente ; si les citoyens quittent leurs appartements, un message d’alerte sera envoyé aux organes de surveillance concernés. Une des applications les plus répandues est aussi celle qui renseigne sur les régions touchées par la contamination, ce qui permet aux citoyens d’éviter de visiter ces endroits.
Une telle prolifération de le-gouvernance fournit les gouvernements et les citoyens des outils nécessaires à endiguer la propagation de l’épidémie par la voie de la diminution des contacts sociaux. Bien qu’il n’y ait pas de données statistiques suffisantes concernant l’utilisation des outils électroniques pendant la pandémie,l’implication croissante des citoyens des années précédentes permet d’insister que les tendances pré-pandémiques du moins sont conservées. La numérisation des services publics des années précédentes combinée avec la mise en pratique de nouveaux outils électroniques par les gouvernements les aide considérablement dans la réalisation des services publics en période d’épidémie.
L’e-gouvernement en temps de pandémie. Estonie et Taïwan
L’Estonie et Taïwan sont des exemples intéressants de la lutte contre le coronavirus. Pendant des années les deux pays ont développé des systèmes efficaces d’e-gouvernement qui, avec de nouveaux outils, servent à la lutte contre le virus.
Estonie
En Estonie 99 % des services publics sont accessibles en ligne ce qui permet d’assurer leur bon fonctionnement pendant l’épidémie. Après la montée de l’épidémie le gouvernement s’est déplacé dans un soi-disant bureau virtuel pour continuer de travailler en ligne. Les outils électroniques créés pour la gestion des entreprises assurent le bon fonctionnement de ces dernières. Depuis avril l’Estonie, comme d’autres États, a développé en collaboration avec un secteur privé une application pour détecter la COVID-19. Grâce à une analyse des données des cartes d’identités, l’application indique si la personne croisée a eu ou non des contacts avec des porteurs du virus les 14 jours précédents. 87 % des écoles utilisaient déjà des solutions électroniques avant la crise, ce qui a donné la possibilité de passer entièrement à un enseignement à distance sans interruption pendant l’épidémie. Grâce aux certificats médicaux numériques et aux ordonnances obtenues en ligne, les visites dans les hôpitaux ont été réduites au minimum et les salariés peuvent prendre un congé de maladie après des consultations en ligne.
Taïwan
L’exemple de Taïwan de la lutte contre le coronavirus est peut-être le plus réussi dans le monde entier. On y a commencé à lutter contre le virus depuis le 31 décembre de l’année dernière, dès le jour suivant des nouvelles de la propagation du virus dans la ville de Wuhan. Les réussites taïwanaises de la lutte contre l’épidémie ont été qualifiées par les médias comme « modèle taïwanais » de la lutte. Sans doute, cette lutte n’est pas sans solutions techniques ce qui paraît naturel dans un pays avec un tel niveau de développement technique. L’une de ces solutions a été ce qu’on appelle «la barrière numérique » mise en place par la Commission des communications nationales ; c’est la surveillance du déplacement des citoyens confinés à domicile à partir des signaux émis par leurs téléphones portables. Si la personne en isolement sort de chez lui avec son téléphone portable alors le système d’alarme se mettra en marche ainsi informant les organes concernés de la violation de l’isolement. Afin d’éviter un achat de panique des masques le ministère du Numérique de l’île en collaboration avec un secteur privé a élaboré une application de contrôle de l’approvisionnement en masques qui montre en temps réel la quantité de masques dans les points de vente. En plus, les citoyens peuvent utiliser l’application pour offrir le surplus des masques aux autres.
Ces mesures et d’autres font partie de la stratégie du développement d’e-gouvernement de Taïwan qui a démarré dans les années 90. Depuis, de nombreux projets intéressants ont été réalisés dans le pays pour le développement de l’e-gouvernement. L’initiative appelée « de porte en porte » des services électroniques a été l’un de ces projets qui avait pour but d’assurer le plus de gens possibles des services électroniques du gouvernement. Cette initiative du gouvernement taïwanais permet aux citoyens de contacter le département respectif du gouvernement et de demander de lui accorder un agent public pour recevoir les services nécessaires. L’agent public se présente grâce à l’ordinateur connecté au portail électronique du gouvernement. Ainsi c’est le paquet intégral des services électroniques qui devient accessible au citoyen, car en ce cas-là l’agent public offre des services non seulement au nom d’une seule agence publique, mais au nom de tout le gouvernement. Un portail appelé e-gouvernante (e-housekeeper) a été créé qui est censé envoyer des avis sur plus de deux cents services publics aux citoyens, comme par exemple le paiement des taxes et des amendes, les délais de révision de voiture, la fermeture des routes par le gouvernement etc.
À Taïwan l’e-gouvernement a fait preuve de grandes conquêtes non seulement dans les relations citoyen-État, mais aussi à l’intérieur du gouvernement – entre ses différents départements. L’échange de documents entre les agences publiques se fait essentiellement en ligne à Taïwan ainsi économisant énormément de temps et des millions de dollars. Ces projets-là et beaucoup d’autres dans le domaine de l’e-gouvernement ont sans doute leur importance dans la lutte contre le coronavirus en minimisant les contacts des citoyens.
L’e-gouvernement en Arménie
En Arménie le développement de l’e-gouvernement a commencé dans les années 2000 et depuis, grâce à la réalisation d’un certain nombre de projets, la République d’Arménie a trouvé sa place dans la liste des pays ayant un haut niveau d’e-gouvernement. La plupart des projets ont été réalisés grâce au soutien financier et professionnel de l’UE. La plateforme centrale de l’e-gouvernement en Arménie est le site https://www.e-gov.am/ qui a été créé depuis 2010 avec le soutien de l’UE. C’est une plateforme unifiée des départements d’Etat arméniens qui offrent des services électroniques. Les citoyens de l’Arménie peuvent y envoyer des lettres au gouvernement, s’acquitter des redevances, réaliser des transactions immobilières, enregistrer des organisations, participer aux enchères électroniques de l’Exécution obligatoire des actes judiciaires, faire une demande de visa électronique ( au fait l’Arménie est le premier pays du monde ayant un système de demande d’e-visa), etc. Le site est en effet une plateforme d’arrangement des services électroniques de différents départements qui sont réalisés à leur tour depuis différentes fenêtres (sites).
L’expérience de l’Estonie a été importante dans la mise en pratique de l’e-gouvernement en Arménie et un certain nombre de projets ont été réalisés justement à l’exemple de l’Estonie. La communication des citoyens et du gouvernement par e-mail, la réception des documents du Registre de la population, les services électroniques mis en place pour la police, comme l’enregistrement du certificat d’immatriculation et du permis de conduire, le registre judiciaire électronique, etc.font partie de ces projets.
Le système Mulberry de la gestion des documents a été mis en pratique dans les départements de l’Arménie à partir de 2007 ; il permet des documents en ligne entre les différentes agences. Aujourd’hui il est utilisé par plus de 65 instituts et plus d’un million de documents circulent par an. Par conséquent, 70% de l’échange des documents entre les institutions d’État de l’Arménie se font par la voie électronique.
Après la montée de l’épidémie, les mesures anti-épidémiques du gouvernement arménienie n’étaient pas privées de l’utilisation des outils électroniques. Ainsi, le site électronique du Centre national de surveillance et de prévention des maladies du ministère de la Santé est devenu la plateforme essentielle où des informations sur la propagation du coronavirus, sur les cas enregistrés et les mesures anti-épidémiques sont communiquées. Une rubrique intitulée COVID-19 parue sur le site officiel du gouvernement arménien, informe sur les restrictions de voyage actuelles, sur les décisions et les instructions du commandant. Une rubrique spéciale est destinée à la communication des projets de soutien économique et social. Une carte de propagation du virus avec des mises à jour permanentes a été créée dans le système de communication unifié ARMED du Ministère arménien de la santé électronique qui montre les adresses des citoyens isolés avec une précision de 50 m.
Dès le début de l’épidémie on remarque un accroissement de l’utilisation des plateformes d’e-gouvernement parmi les citoyens de l’Arménie. Ainsi, si en janvier de l’année en cours les Arméniens ont envoyé environ 900 demandes en utilisant la plateforme électronique unifiée du gouvernement, alors ce chiffre serait de plus de 5000 en mars en continuant d’augmenter les mois suivants. En avril le nombre d’enquêtes, de plaintes, de demandes a été de 44.000, ce qui est apparemment lié aux mesures anti-épidémiques, sociales et autres réalisées par le gouvernement ; la majorité des requêtes ont été adressées au Ministère du Travail et des Affaires sociales et à la Police de la République d’Arménie.
Ainsi, le développement de l’e-gouvernement des dernières décennies dans le monde entier et l’accessibilité en ligne des services gouvernementaux pendant la période pré-épidémique ont permis de réduire le contact physique au sein des services publics ce qui est un facteur important de prévention de la propagation de l’épidémie. Aujourd’hui la plupart des pays offrent au moins quelques services en ligne ; dans de nombreux pays le plus souvent les citoyens ont recours aux services publics précis en ligne comme, par exemple, la déclaration de l’impôt sur le revenu. Pendant la pandémie les gouvernements ont appliqué aussi de nouveaux outils électroniques, dont les plus répandus ont été les applications de traçage des contacts et d’alerte, du monitoring du déplacement des citoyens isolés et de la propagation géographique du virus. L’expérience de Taïwan et de l’Estonie montre l’importance du rôle d’un système d’e-gouvernement développé dans les conditions de crise. L’insertion de l’e-gouvernement dans le système commun de la gouvernance en Arménie, comme le montrent les statistiques, a eu et continue d’avoir une importance croissante dans les mesures anti-épidémiques prises par le gouvernement depuis la montée de l’épidémie.
Références
[1] Nous utilisons le terme de l’e-gouvernement au sens le plus large du mot qui est l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans le but de l’augmentation de l’efficacité de la gouvernance et de l’économie des ressources.
Bibliographie
- Heeks, Richard. (2001). Understanding e-Governance for Development. 10.13140/RG.2.2.14715.46882.,
- Jing Shiang, Naiyi Hsiao, and Jin Lo, E-government in Taiwan.
- Junhua Zhang, Good Governance Through E-Governance? Assessing China’s E-Government Strategy, Journal of E-Government Volume 2, 2006 – Issue 4.,
- Okot-Uma, O. (2001). Electronic governance: re-inventing good governance.,
- Subhajit Basu, E‐government and developing countries: an overview International Review of Law, Computers & Technology Volume 18, 2004 – Issue 1,
- Verma, Deepak. (2018). Governance to Good Governance through e-Governance: A critical review of Concept, Model, Initiatives & Challenges in India.. 8. 244-269.,
- http://vxsoft.com/en/projects/mul2
- https://asia.nikkei.com/Spotlight/Coronavirus/Taiwan-s-digital-minister-draws-praise-in-Japan-for-mask-app
- https://e-estonia.com/digital-society-during-covid-19-lock-down/
- https://e-estonia.com/solutions/e-identity/e-residency
- https://e-estonia.com/solutions/e-identity/id-card/
- https://e-estonia.com/trace-covid-19-while-respecting-privacy/
- https://ec.europa.eu/idabc/en/document/2319/5938.html
- https://ec.europa.eu/idabc/en/document/7397.html
- https://ec.europa.eu/idabc/en/document/7400/5644.html
- https://ega.ee/news/e-governance-academy-helped-armenia-develop-new-tools-for-combating-corruption/
- https://ega.ee/news/e-governance-academy-helped-armenia-develop-new-tools-for-combating-corruption/
- https://ega.ee/news/e-governance-academy-helped-armenia-develop-new-tools-for-combating-corruption/
- https://foreignpolicy.com/2020/04/09/taiwan-is-exporting-its-coronavirus-successes-to-the-world/
- https://ncdc.am/coronavirus/confirmed-cases-by-days/
- https://publicadministration.un.org/Portals/1/Images/E-Government%20Survey%202018_FINAL%20for%20web.pdf,
- https://qz.com/1825997/taiwan-phone-tracking-system-monitors-55000-under-coronavirus-quarantine/
- https://www.euneighbours.eu/en/east/stay-informed/news/armenia-marks-sharp-increase-use-e-governance-tools-during-covid-19
- https://www.gov.am/am/
Auteur : Gevorg Gasparyan © Tous droits réservés.
Traduit par Tatev Tadevosyan