Analyse du comportement de toutes les parties intéressées
Manifestants – Pendant toute la révolution, ils ont fait preuve d’une grande retenue, d’une responsabilité et surtout d’une forme d’organisation. Les manifestations décentralisées et les protestations ont été conduites avec une harmonie étonnante dans toute la République. Chaque minute, de nouveaux villages et villes rejoignaient le mouvement national, et il est à noter que partout les protestations se passaient exclusivement de manière pacifique, sans violence, avec une philosophie révolutionnaire adaptée. Même le jour de la démission de Serge Sargsyan, aucun incident et désordre n’ont été à déplorer, aucune fenêtre n’a été cassée, aucune voiture n’a été endommagée dans le centre de la capitale où environ un demi-million de personnes s’est rassemblé. Tout cela n’a pas de comparaison, même avec les désordres pendent les manifestations organisées dans les pays occidentaux.
La police – Malgré les infractions qui résultaient de l’atmosphère survoltée, la police a montré un comportement sans précédent, réservé, professionnel et même indulgent. Après la démission de Serge Sargsyan, la police a retiré ses forces principales de la ville et n’a pas réagi aux développements sociaux et politiques.
L’Armée – Contrairement aux évènements du 1er mars, l’armée n’a pas été utilisée contre la population civile mais, dans ma plus profonde conviction, ce n’est pas à cause des qualités morales de Serge Sargsyan, mais à la suite de changements systémiques et professionnel dans l’armée.
Service de sécurité nationale – Le SSN a, presque jusqu’au dernier moment, défendu les intérêts de Serge Sargsyan, en effectuant un certain nombre d’opérations spéciales, y compris l’enlèvement de Nikol Pashinyan et des députés.
L’élite dirigeante – (Armen Sargsyan, Karen Karapetyan, Bako Sahakyan, chefs des structures du pouvoir). Il est intéressant de noter que cette pyramide, qui semblait être si homogène et soudée, ne s’est pas unie, cette fois, autour de Serge Sargsyan à un moment décisif, le laissant non seulement seul, mais exerçant également une pression sur lui. C’est, donc la preuve de changements positifs, venus avec la nouvelle génération des politiciens. Ce fait, bien sûr, est la bonne option։ le pire est qu’un groupe de carriéristes en ont eu marre de la direction inopérante de la même personne au cours de la décennie, et essayaient d’utiliser la situation à leur avantagei et d’obtenir pour la première fois un pouvoir réel. Le temps nous montrera laquelle de ces options était la plus proche de la réalité.
Parti républicain – Une force quasi politique, qui tentait d’exercer une pression sur le mouvement et de créer une atmosphère de peur et de la violence par l’invasion des oligarques, des criminels et des racailles du quartier. Les ressources administratives, la pression sur les employés, le licenciement des employés, l’implication des provocateurs (l’avenue Mashtots dans la nuit), la pression sur les étudiants dans les institutions éducatives représentent les outils classiques des autorités qui ont été largement utilisées ici. Nous sommes témoins des déclarations fausses et provocatrices de la part des députés de l’Assemblée nationale ; des déclarations qui avaient un but de persuader la partie russe que ce qui se passait en Arménie n’était rien de plus qu’un mouvement anti-russe, ce qui est au moins un sabotage des intérêts de son propre état, ou plus simplement, une trahison. En la personne de ce club des ploutocraties oligarchiques dit « parti », nous avons, en fait, une couche parasitaire, qui fait encore tout son possible pour garder au moins une partie du pouvoir. Le Parti républicain était plutôt une structure criminelle-oligarchique qui avait pris sous son contrôle le système de gouvernance en Arménie et presque toutes les sphères de la vie publique.
Serge Sargsyan –L’analyse des actions et des intentions de cette personne représente la plus grande difficulté. Cependant, si nous prenons comme base son désir inassouvi de rester au pouvoir, toutes ses actions deviennent claires en raison des outils suivants. Comme les accusations sur son implication dans la drogue et les casinos n’ont pas été prouvées, le seul but logique de maintenir le pouvoir peut être l’appréciation superficielle du rôle de l’individu concernant la question du Karabakh. Il est probable que cet homme, ayant perdu le contact avec la réalité pendant des années, croyait vraiment que c’est seulement lui qui est capable de résoudre le problème du Karabakh. De toute façon, il était prêt à tout faire pour rester au pouvoir jusqu’au dernier jour. Selon nos informations, la question de la proclamation de l’état d’urgence a été discutée autour de la table ronde, le 22 avril, et si l’on rajoute les menaces concernant les évènements du 1er mars 2008 lors des négociations avec Pashinyan, la situation devient plus claire. Il n’est pas nécessaire de considérer la démission de Serge Sargsyan comme un comportement héroïque, c’était le résultat d’un besoin extrême, et il n’avait plus d’autre choix : ni le cercle interne ni le côté russe ne l’ont soutenu. C’était peut-être la raison pour laquelle il a désigné Pashinyan en tant qu’héritier du « trône » arménien dans son message de démission.
Les activistes et les dirrigeants des démonstrations–La masse active de la société a vécu une évolution brusque․ Լes problèmes et les défis que j’avais écrit dans mon article (Mouvements civils et questions politiques) il n’y a que deux mois, ont trouvé leurs solutions et la société, en particulier sa génération jeune et active, a pu politiser à nouveau, mettre des questions à l’agenda politique et trouver une solution adéquate. La masse active du public a également montré une mobilité, une capacité d’organiser la situation sur place, une mentalité d’état et d’organisation. La partie leader des démonstrations, cependant, était le côté le plus faible de la révolution, à l’exception de quelques individus. Il y a un manque considérable des ressources intellectuelles.
Nikol Pashinyan –L’un des problèmes discutés dans l’histoire est la question du rôle du leader. L’odyssée du mouvement et le rôle du leader représentent mieux le contenu de cette question. Certes, la révolution arménienne et son succès sont composés de plusieurs modules qui ont une puissance, une orientation et une signification différentes et dont plusieurs sont même décisifs. Cependant, il y a un module dans chacun de ceux-ci, dont l’impact est plus visible et évident, c’est la tête du mouvement. Seule l’activité du dirigeant n’était certainement pas suffisante pour une telle victoire, mais il n’y aurait pas de révolution sans Pashinyan. En gros, le bon leader est une condition nécessaire mais insuffisante.
États-Unis, UE –Les États-Unis et l’Union européenne ont soutenu le mouvement sans rien faire : leur intégration zéro était la plus grande aide à la victoire de la révolution, car toute implication allait provoquer en chaîne l’intervention russe, déjà de la part du régime. En même temps, certains faits sont remarquables : la France et les Etats-Unis n’ont pas félicité Serge Sargsyan pour son accession au poste de Premier ministre, ce qui représente une violation de la tradition, car ils sont habituellement parmi les premiers pays qui réagissent aux événements en Arménie. La plus grande contribution que l’UE a fait au cours des années a été les démarches visant à renforcer les institutions de la société civile, ce qui ne peut pas être considéré comme une ingérence dans les affaires de l’Arménie. C’est plutôt une tentative de garder ses propres frontières et ses voisins d’une manière aisée et pacifique, que l’Union européenne l’organise pour tous ses voisins, qui n’est pas toujours aussi efficace. Du point de vue des médias, le problème est un peu différent : jusqu’à présent, les centres d’information médiatiques n’étaient pas si prudents et adéquats dans leurs évaluations des réalités politiques intérieures de l’Arménie, comme en cas de ce mouvement, et ils ont joué un rôle assez sérieux dans la perte de l’autorité du régime ne lui permettant pas de mettre en place la force et la violence.
Russie – En général, elle a maintenu un comportement neutre. Il convient de souligner à nouveau que l’Arménie a tenté à de nombreuses reprises d’impliquer la Russie dans ses processus politiques, comme : Serge Sargsyan, Karen Karapetyan et les députés du Parti républicain, mais ils ont échoué. La raison n’est pas, bien sûr, le respect subi du côté russe envers le droit international et ses sujets, mais un simple calcul : la Russie a de très sérieux leviers économiques, politiques et militaires sur l’Arménie. Ces leviers permettent, au fond, à notre allié stratégique d’avoir l’impact nécessaire sur l’Arménie, qu’importe le pouvoir politique qui y gouverne (à part des pro-occidentaux). Compte tenu de ce fait, le Kremlin n’a pas trouvé opportun de sauver le système illégitime qui est entièrement dégradé, au prix de devenir un ennemi aux yeux de la majorité de la population arménienne.
Azerbaïdjan – Malgré les désinformations répandues régulièrement en Arménie, l’adversaire n’a pas montré une activité particulière au front. Ce fait peut être conditionné par deux facteurs : la pression politique sur l’Azerbaïdjan des centres de pouvoir mondiaux. Dans une telle situation, la reprise des opérations militaires aurait pu être explosive pour toute la région, en comprenant que l’Azerbaïdjan pourrait ne pas résister à ces tentations et tout le monde travaillait activement dans cette direction. La deuxième raison était le réveil national et la hausse considérable de l’état moral et psychologique du peuple après la démission de Serge Sargsyan, qui, dans le cas d’une telle disposition des forces, a une haute priorité.
Conclusions et déductions sur la révolution arménienne
Tout d’abord, mettons en relief quelques conclusions importantes :
- C’était une lutte pour la préservation des valeurs démocratiques, ce qui indique que les soi-disant lignes rouges de la démocratie se sont formées en Arménie au cours des 30 dernières années. Des lignes au-delà desquelles la société n’était pas prête à tolérer quoi que ce soit, dont l’une, comme le démontre l’expérience, était le maintien du principe du transfert régulier du pouvoir. C’est la présence de ces lignes rouges dans la conscience de la société qui rend le pays vraiment démocratique : plus ces lignes sont proches des valeurs et des lois déclarées, plus le pays est en bonne santé.
- La lutte a commencé comme une révolution bien démocratique, mais dans la dernière étape, ses dirigeants l’ont amenée par la voie bourgeoise-démocratique afin que cette dernière passe plus rapide et sans tressaillement. En d’autres termes, les oligarques ont rejoint le mouvement. Et les témoignages des dirigeants du mouvement, et la logique du mouvement nous soulignent qu’il s’agit d’un phénomène très temporaire qui durera jusqu’aux élections législatives anticipées.
- L’accession au poste de Premier ministre de Serge Sargsyan est devenue un moment décisif pour la République d’Arménie. Le pays, qui a été semi-indépendant au cours des deux dernières décennies, pourrait maintenant être ajouté à la liste des pays libres. Mais, la révolution ne l’a pas permis, mais a rapidement commencé à mener la république vers la voie de la libéralisation.
- La révolution était une manifestation d’une nation politique et d’une société civile mature. Il y avait une généralité entre les gens : le sentiment d’avoir un destin commun, que ça soit le policier, le soldat ou les manifestants, mais de telles manifestations sont simplement possibles dans des conditions concrètes et pour une période spécifique. C’était la première étape sérieuse pour devenir une société unie et indépendante.
- Pour la première fois, notre société a choisi la liberté dans un dilemme liberté-sécurité et a reçu le second en même temps․ Les sociétés vraiment libres sont beaucoup plus viables et beaucoup plus combatives dont la première preuve dans notre pays est le fait que les obstacles ont été franchis malgré la propagation de la menace azerbaïdjanaise qui retenait pendant des décennies le potentiel révolutionnaire accumulé dans le pays. Maintenant, notre société est beaucoup plus prête à faire la guerre et défendre la patrie.
- Tout ce qui s’est produit n’est pas un bouleversement ou une passation du pouvoir, mais une vraie révolution. En Arménie, ce n’est pas un seul parti politique qui est retiré du gouvernement, mais un système criminel et oligarchique qui est entièrement détruit et démantelé, un système qui, cependant, n’a pas été officiellement proclamé mais qui a commencé à fonctionner et à prospérer.
Prenons aussi en considération quelques conclusions importantes.
- Quels doivent être les prochains pas de la révolution ? Le 3ème pаs doit concerner le changement de la loi sur les partis et modifications du code électoral, changements de personnel dans la CEC, dans la police, au bureau du procureur général et dans la OSC. Étape 4: Organiser des élections extraordinaires, équitables et transparentes à l’Assemblée Nationale qui nous permettra d’assister à la capitalisation des réalisations de la révolution. Étape 5 : créer un nouveau gouvernement basé sur la méritocratie, mais pas sur le principe de l’affiliation à un parti ou sur des liens personnels
- L’expérience nous a montré que la société civile et ses institutions fonctionnent beaucoup plus efficacement dans la lutte contre les abus du pouvoir que l’opposition politique. Il y a des raisons à la fois objectives et subjectives, mais le fait est ce que la jeunesse, qui est le moteur de la révolution, n’a pas une organisation politique mais organisation civile, donc les institutions de la société civile fonctionnaient de manière beaucoup plus efficace, légère et de principe que les partis politiques. Or, notre objectif de l’avenir doit être le développement de la société civile et le renforcement de ses institutions.
- Le champ politique doit être complètement décriminalisé, les éléments criminels doivent être retirés de la politique, la résolution des problèmes par les méthodes criminelles doit être intolérable, les éléments criminels devraient être portés à l’attention des gardiens de l’ordre. « Déoligarchisation » (la loi sur la décapitalisation) : la politique et les grandes entreprises, et surtout les entreprises oligarchiques doivent être complètement séparées. Certes, il doit y avoir des forces politiques qui vont protéger les intérêts des grandes entreprises, mais elles doivent être complètement différentes. Les « gardiens », entourés d’oligarques et d’autres forces, qui sont essentiellement des groupes armés au sein de l’État, devraient être totalement désarmés et dispersés et leurs organisateurs strictement punis.
- Réhabilitation du champ politique – en raison de la politique cohérente de Serge Sargsyan, le champ politique en général et l’opposition en particulier se sont complètement privés de leur autorité. Le politicien dans notre réalité est synonyme d’immoralité, et il n’y a pas de confiance dans une force politique, sauf le nouveau révolutionnaire. Tout d’abord, le champ politique doit être débarrassé des gens qui sont les porteurs de la connaissance et de la culture du siècle précédent, des bandits politiques, des criminels et des opportunistes. Les politiciens de la nouvelle génération doivent venir au pouvoir qui doivent être les activistes publics, les révolutionnaires et les représentants de la société civile, mais pas celles des partis ou des conseils des étudiants.
Bibliographie
Auteur : Areg Kochinyan
Traduit par Shushanik Makaryan © Tous droits réservés.